LE ROUGET DE CHRISTOPHE PELé : « LE SECRET POUR DURER EN CUISINE : AIMER LA VIE »

« Plat fétiche ». Le chef parisien doublement étoilé prépare ce poisson de printemps « grillé à la salamandre, mais cru à cœur ».

Il rêvait d’être footballeur, mais il a étudié la cuisine. Passé le dépit, la gloire : à Paris, le Francilien s’est révélé en tant que chef, d’abord au palace parisien Le Royal Monceau, puis dans son restaurant, La Bigarrade. Depuis 2015, il est aux manettes du restaurant Le Clarence, à Paris, où sa cuisine sans limite lui vaut deux étoiles au Michelin.

« Je n’aime pas les cartes. Quand on laisse le client choisir entre différentes entrées, différents plats et différents desserts, on se retrouve à pousser des produits [que l’on a en grande quantité]. Malgré ça, certains restent trois jours au frigo, ils deviennent un peu dégueulasses. Et puis, il faut du stock, pour que tout le monde ait ce qu’il veut. Sinon c’est normal que le client gueule. Bref, la carte, c’est l’enfer, on ne contrôle rien, ça part dans tous les sens.

Quand j’étais chef au Royal Monceau, il y avait une carte et je rêvais de la virer ! Quand je me suis installé à La Bigarrade, j’avais deux ardoises : j’avais écrit dessus « 35 euros » et « 45 euros », et puis c’est tout. Ici [au Clarence], le client peut choisir la longueur du menu. Pour le reste, je me débrouille : je reçois des produits le matin et, le soir, les frigos sont vides.

Le Clarence, ou le conte du prince Robert de Luxembourg et de Christophe Pelé, chef rebelle

En ce moment, j’utilise pas mal le rouget, un poisson de printemps. Dans ce plat, il y a du travail, mais il ne faut pas que ça se voie. Moins on touche au produit, mieux il se porte. S’il est bon, il suffit d’écouter les signaux qu’il envoie, ce dont il a besoin. Evidemment, parfois, on est obligé de traiter la matière, mais je trouve que l’on a tendance à trop le faire. A en rajouter tout le temps pour cacher notre petitesse, notre médiocrité.

Un peu de végétal, ça ne fait pas de mal

Le rouget est légèrement assaisonné, grillé à la salamandre, mais cru à cœur. Une technique découverte à La Bigarrade, exceptionnelle à mon sens. La texture croustillante et fumée, avec dessus le piment d’Espelette et les cristaux de sel de Maldon. Ensuite, je m’amuse avec ce que j’ai sous la main : de la moelle de bœuf pour le gras, une chips de pain pour la texture, un oursin pour l’iode et la finesse. Une fleur de capucine pour le côté poivré. Dans ce monde de brutes, un peu de végétal, ça ne fait pas de mal. Mais bon, je pourrais aussi mettre de l’oseille. Ou rien.

Je cuisine en fonction de mes envies, des possibilités, de l’énergie que j’ai à donner. Parfois, j’en ai plein, parfois peu. En cuisine, il faut des automatismes, mais ce n’est pas de la mécanique. La mécanique, c’est pour les motos, les voitures. Ce que l’on fait, c’est un sport d’équipe, je ne vais pas dire “faut faire ça et ça”. Je partage ce que j’ai en tête, on discute, on goûte, je me remets énormément en question. Des fois, je ne sais pas. J’ai besoin de mon équipe. Un cuisinier, on doit lui amener la palette d’expression la plus large possible. Sinon on en fait un robot.

Quand on improvise, il peut y avoir des plats moins réussis, mais c’est normal, c’est vivant. Ce qui est important, c’est l’intention que l’on y met : il ne faut pas être avare de ses émotions, j’ai horreur des cuisiniers qui vont garder ou contrôler ce qu’ils donnent. Alors j’entretiens ma flamme, elle pourrait s’éteindre, et je n’en ai pas envie.

Le matin, j’essaie de me concentrer un peu, d’être content de me réveiller, de me nourrir de positif, je m’arrose comme une plante. Je me suis remis à monter à cheval, et j’adore ça. Je cuisine à la maison pour ma femme et ma fille, pour les équipes au restaurant : la force de la nourriture, c’est phénoménal. Quand les gens sont autour d’une table où c’est bon, ils sont heureux. C’est peut-être ça, le secret pour durer en cuisine : aimer la vie. »

Le Clarence, 31, avenue Franklin-Roosevelt, Paris 8e. Menu à partir de 150 euros. Https ://www.le-clarence.paris/la-table/

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