LE RETOUR CLANDESTIN DE LA PIQUETTE

En 2021, après la publication d’un article dans l’Obs vantant le retour de la piquette, les vignerons Nicolas Fernandez et Maya Sallée du domaine de la Calmette (à Trespoux-Rassiels, près de Cahors dans le Sud-Ouest) se font contrôler par la répression des fraudes. Ces jeunes vignerons, qui produisent d’élégants vins tranquilles, avaient eu l’idée, dès leur installation, de façonner eux-mêmes leur propre piquette : une boisson faiblement titrée (autour de 6°), obtenue avec du marc (1) de raisin fermenté et de l’eau. «On était très intrigués par ce concept. On savait que ça existait, on connaissait l’idée de boisson légère à base de marc, explique Nicolas Fernandez. Sauf qu’on en trouvait nulle part. Alors, dès qu’on a eu nos raisins en 2016, on a voulu goûter le bazar ! C’était pour s’amuser, par curiosité.» Malgré leur formation d’œnologues, ils tentent de fabriquer leur propre recette en suivant ce qu’ils trouvent sur Internet, bidouillent et expérimentent, sans trop savoir comme s’y prendre.

«Boisson patrimoniale»

L’interdiction de la vente de piquette a été décidée en 1907 suite aux révoltes vigneronnes à Narbonne et à la surproduction dans le Languedoc. Elle est toujours en cours. Le vignoble français «était vraiment déstabilisé par la fraude à la piquette qui ajoutait des volumes de mauvais vins trafiqués et entraînait une baisse des cours générale», complète Nicolas Fernandez. Par ailleurs, cette boisson, fragilisée par son petit titrage alcoolique, peut rapidement tourner au vinaigre. Concernant son interdiction, l’article 126 du code du vin est strict : «Sont interdites la fabrication de piquettes et celle des vins de sucre obtenus par la fermentation des marcs de raisins frais avec de l’eau et du sucre». Or, nombre de vignerons produisent, encore aujourd’hui, cette boisson maison pour les vendangeurs ou pour l’offrir en cadeau, sans passer par la commercialisation : «On se place plutôt dans l’historique des piquettes de ferme, où les vignerons des régions pauvres faisaient une piquette fragile mais soignée qu’ils allaient boire eux-mêmes ou pour leur personnel. C’est une boisson patrimoniale qui a disparu des campagnes petit à petit», complète Nicolas Fernandez.

«Pinpin», leur «boisson aromatisée à base de vin», est en effet un joli vin de soif, un rouge désaltérant légèrement perlant, au nez et à la bouche florale, presque de rose. Fait avec du moût (2) de malbec en grande majorité, assemblé avec un peu de moût de raisin muscat, il a gardé sa teinte rouge et profonde. «Pinpin» reste une boisson rafraîchissante par temps de canicule, festive et sans prétention, et dans laquelle on retrouve les arômes variétaux des cépages initiaux.

Produire une telle boisson, c’est aussi le plaisir de ne pas gaspiller et de faire un vin de nostalgie : «Certes, on a une clientèle à Tokyo qui boit nos vins, mais on a aussi une autre clientèle de personnes âgées qui disaient, en buvant notre piquette, “tiens, ça a le goût de ce qu’on buvait à la ferme avec nos parents il y a soixante-dix ans, en faisant les foins !”» s’émeut Nicolas Fernandez.

Un vin de nostalgie

Le domaine de la Calmette a pourtant eu chaud : leur «Pinpin» (mot tiré de l’argot du Sud-Ouest et qui voulait dire piquette) a été d’abord interdit de vente, même s’ils ont tout tenté pour rendre leur produit légal à l’origine : «La DREETS [la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, ndlr] a pris conscience au printemps 2021 que de la piquette commençait à être produite en France et que c’était illégal. Est-ce l’article de l’Obs ? Je n’en suis pas certain, soupire Nicolas Fernandez. Nous sommes plusieurs producteurs de piquette à avoir eu un contrôle. Les lots ont été bloqués (pas mis sous scellés tout de même) et les agents nous ont informés de la réglementation européenne : les marcs ne peuvent être utilisés

Au code du vin s’ajoute, sévère, celui des impôts : «Les vins de marcs, vins de sucre, piquettes et autres vins non conformes aux dispositions des règlements communautaires portant organisation commune du marché vitivinicole, saisis chez le producteur de ces vins ou chez le négociant, doivent être transformés en alcool après paiement de leur valeur ou être détruits. En attendant la solution du litige, le prévenu est tenu de conserver gratuitement les marchandises intactes», stipule l’article 432. C’est le cas en France et en Europe, mais pas dans les autres pays du monde, comme au Canada, aux Etats-Unis et au Japon, où la piquette (notamment française, mais pas que) fait fureur. «Notre importatrice japonaise, qui était là aux vendanges, a vu la fabrication de la piquette chez nous. Elle a dit : “c’est super bon, moi j’en prends 300 bouteilles !” Et au Japon ce n’est pas interdit. Il y a une catégorie douanière européenne qui s’appelle Piquette, mais on n’avait pas compris que c’était juste pour la distillation.»

Aujourd’hui, Nicolas Fernandez et Maya Sallée ont trouvé la brèche dans la loi : en ajoutant une fleur à leur préparation, cette boisson devient un «vin aromatisé». En changeant de catégorie de produit, ils peuvent le commercialiser à l’envi : «Dans la catégorie des vins aromatisés, on peut mettre jusqu’à 50 % d’eau dans le produit, et que ce soit aromatisé d’une façon ou d’une autre. On s’est dit qu’on allait ajouter un arôme naturel, des fleurs… Le but, c’est de rendre la boisson légale. Et ça marche ! On a des particuliers qui n’achètent que ça chez nous.» Depuis qu’ils ont changé la catégorie légale, le domaine de la Calmette a repris des volumes croissants. Dernière production : 1 300 bouteilles, et tout a été vendu «depuis cette semaine», conclut le vigneron, pas peu fier.

(1) Le marc de raisin est l’ensemble des résidus secs du raisin (peaux, pépins) après la presse ou le foulage.

(2) Le moût de raisin est la mixture obtenue par pressurage ou foulage des raisins.

Domaine de la Calmette, «Pinpin», 14 euros (prix caviste)

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